Le XIIe siècle marque le retour de l’architecture militaire de pierre. Dans un premier temps, ces nouvelles forteresses sont pratiquement imprenables avec les techniques de sièges de l’époque ou uniquement avec de très grandes pertes. Il faudra alors redécouvrir la poliorcétique romaine pour enfin rééquilibrer les forces, même si la fortification continuera de se perfectionner durant les siècles suivants.

Nous parlerons surtout dans cet article des évolutions, des causes et des conséquences du retour du siège technique. Les détails du siège en règle sont décrits ici.

 

Le début du XIIe siècle

Le XIIe siècle marque le début des fortifications de pierre pour les châteaux de plaine. Toutefois, il faut relativiser, avant le milieu du XIIe siècle, l’architecture défensive de pierre est encore assez rare et l’armée est très restreinte (le pouvoir central n’étant pas assez puissant).
La poliorcétique n’a donc pas évolué directement, seuls les plus riches seigneurs pouvaient avoir un donjon de pierre (et parfois l’enceinte également). C’était largement suffisant pour dissuader bon nombre d’ennemis. Les donjons romans n’avaient d’ailleurs que peu de moyens de riposter, ils étaient surtout dissuasifs (« fortification passive »). Il fallait des seigneurs encore plus riches pour imaginer entreprendre un siège plus savant pour les conquérir.

 

Une technique militaire inappropriée

Si durant la première moitié du XIIe siècle, peu de châteaux de pierre ont été attaqués en Europe, il n’en sera pas de même en « Terre Sainte ». En effet, les croisés doivent faire face à de telles fortifications, ce qui leur vaut de nombreuses pertes. Les méthodes du début du Moyen Âge se montrent rapidement inefficaces face à la pierre :
• Les techniques de siège reposaient sur l’incendie de la fortification, suivie d’une attaque quelques heures plus tard. Ces techniques n’auront bien sûr plus aucun effet, sauf sur la porte de l’enceinte.
• Le bélier n’aura d’effet que sur la porte d’entrée. Toutefois, cette dernière sera soigneusement intégrée à la fortification de pierre (dans des rainures et battées). Il ne sera donc plus possible d’ébranler la structure générale de la porte. Il faudra la détruire entièrement à l’aide du bélier, ce qui sera plus difficile.
• L’infanterie ne peut plus se frayer un chemin au travers de la fortification avec leur arme durant l’assaut. Il n’existe plus de moyen de réaliser une brèche !
• La cavalerie n’aura plus vraiment d’utilité pour les assaillants alors qu’elle semble avoir un rôle prépondérant sur la Tapisserie de Bayeux (mettre le feu, attaquer une fois une brèche réalisée…).
• L’ « échelade » (assaut en escaladant les murs à l’aide d’échelles) devient presque le seul moyen d’assiéger une place forte. Cette solution est très risquée, car elle ne permet pas d’envoyer un flux important d’assaillant. Les pertes seront donc très nombreuses.
• La porte réalisée dans l’enceinte reste toutefois un point faible. La deuxième solution d’assaut sera donc de ce côté même si les défenseurs s’attendront à cette attaque et mettront donc toutes leurs forces à la protection de la porte.

 

La redécouverte de la poliorcétique romaine

Alors que le feu et l’assaut étaient les meilleurs moyens d’assiéger les fortifications de bois (plus rapide et économique que les techniques plus savantes); l’utilisation de la pierre impose de développer un système d’attaque plus efficace!

Plusieurs éléments rendront ceci possible :
– Le traité de Végèce est traduit à de multiples reprises afin de redécouvrir les techniques romaines efficaces face à des constructions de pierre. Ainsi en 1151 Geoffroy IV Le Bel comte d’Anjou, dit Plantagenêt assiège le château de Montreuil-Bellay. Durant les opérations, il lit Végèce et met à profit ses enseignements pour confectionner un projectile incendiaire.
– Les croisés découvrent les techniques de sièges byzantines et arabes, hérités des Romains, mais aussi améliorées par ces derniers. Il semble que les Sarrazins utilisaient des machines à balancier que les croisés ont importés en Europe.

Ce sera toutefois par les grands seigneurs et rois que reviennent les premières bases d’une poliorcétique savante : eux seuls peuvent construire avec de la pierre et eux seuls peuvent se permettre financièrement de tels travaux de siège.

 

Le siège technique médiéval

En quelques décennies, le siège romain (appelé aussi « siège technique » ou « siège en règle ») est redécouvert. Tous les détails du siège en règle médiéval sont donnés dans cet article.

La poliorcétique romaine n’a toutefois pas été reprise telle quelle :
• Certains documents ne sont pas trop compris (comme le traité de Vitruve, semble-t-il).
• L’influence byzantine et arabe n’est pas négligeable (machines à balancier…)
• Il est nécessaire d’adapter les méthodes antiques aux armées médiévales (moins nombreuse, moins de discipline miliaire, équipement différent…).
• L’influence du climat n’est pas négligeable non plus. Il semble en effet que les machines utilisant la torsion des cordes n’ont pas été utilisées dans nos régions, car l’humidité ne les rendait pas aussi performantes (efficacité très variable).

Le Moyen Âge a aussi dû légèrement améliorer les techniques de siège (les machines à balancier surtout) en les rendant plus efficaces face à des fortifications qui ne cessent de se perfectionner. Au jeu du siège, on peut dire que l’architecture militaire a toujours été vainqueur durant le Moyen Âge. Seuls les effectifs importants des assaillants et la ruse ont permis de rivaliser.
Il faudra attendre la révolution de la poudre pour que le rapport s’inverse.

 

Les solutions extraordinaires… donc peu courantes !

Il faut rester vigilant sur le fait que les techniques qui nous paraissent les plus extraordinaires étaient aussi les plus rares. Les longues descriptions des machines de siège par les chroniqueurs de l’époque (toujours friands d’extraordinaire) peuvent suffire à démontrer la rareté de ces techniques.
Les écrits, les bordereaux et les autres textes prennent le temps de raconter la construction et l’entretien de ces machines que l’on retrouve parfois des décennies plus tard. Par exemple, le beffroi-trébuchet appelé « Truie » construit en 1324 sera loué en 1373 (une machine du même nom existera d’ailleurs encore en 1474). Ces machines étaient donc assez rares que pour être entretenues pendant des décennies et que les textes anciens prennent le temps de parler de ces entretiens !
Vu l’efficacité du grand trébuchet, seule sa rareté explique qu’il n’ait pas permis de prendre énormément de places fortes !

Dans les faits, l’assaut est certainement le premier moyen de prendre une place forte, ce ne sera qu’en cas d’échec que des techniques plus élaborées seront mises en œuvre. La sape et le bélier étaient d’ailleurs certainement plus courants que la mine ou les machines à balancier. Mais n’oublions pas que la poliorcétique ne s’arrête pas aux techniques pour créer une brèche, le siège en règle se base également sur le blocus et des travaux d’approche rigoureux.

 

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Texte : Fabien Houssin

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