La poudre noire sera d’abord utilisée pour aider le siège sans le transformer véritablement. Toutefois, ce qui marquera un changement important dans les techniques de siège, ce sera l’utilisation de boulet de fonte envoyé avec puissance sur les murailles. Celles-ci ne résisteront pas aux coups rasant et précis des canons dès la deuxième moitié du XVe siècle. Ce sera la fin du siège médiéval et le début d’une nouvelle ère…

 

Les débuts de la poudre

Dans un premier temps, l’utilisation de la poudre à canon ne change pas énormément l’art du siège, elle offre uniquement d’autres possibilités et facilite certaines actions :
• Le travail de mine est facilité aussi bien pour l’explosion finale que pour la réalisation de la galerie souterraine avec toutefois moins de discrétion ! De plus, la professionnalisation des armées permet de meilleurs résultats.
• Les armes à poudre de petit calibre (portatifs) remplacent progressivement les arcs et les arbalètes essentiellement parce qu’ils sont moins chers à l’achat et que leurs projectiles (billes de plomb souvent) sont beaucoup moins longs à fabriquer et plus faciles à stocker (entretien et place). L’arc restera toutefois très utilisé jusqu’au XVIe siècle en Angleterre, car il possède une meilleure cadence de tir.
• Les calibres moyens sont utilisés dans les mêmes circonstances que les grosses arbalètes à tours : dans les tours pour tirer sur l’ennemi, par les assiégeants pour contrôler les portes et aussi en campagne.
• Les très gros calibres sont utilisés pour battre en brèche, remplaçant progressivement les trébuchets qui seront tout de même utilisés jusqu’au XVIe siècle. En effet, les grosses bombardes tirant des boulets de pierre auront un effet limité, leur puissance égale à peine le trébuchet, sans avoir la même précision, ni la sécurité (sur certains sièges, les assaillants se félicitent de n’avoir explosé que 4 canons).

 

Une adaptation progressive

La poliorcétique s’adapte donc progressivement à la poudre noire du milieu du XIVe siècle jusqu’au milieu du XVIe siècle. Il n’y a donc pas de rupture franche et rapide comme cela avait été le cas au XIIe siècle. De plus, le poids des grosses pièces d’artillerie les rendra plus adaptées à la défense des places fortes jusqu’au milieu du XVe siècle.

Les premières bouches à feu du XIVe siècle servaient surtout à faire du bruit, ou en tout cas, l’artillerie de fer ne pouvait concurrencer leur rival de bois. La poliorcétique évolue en même temps que la puissance des armes. Petit à petit, les engins de guerre passent de la main des ensgeniors & charpentiers aux artilleurs, en se côtoyant durant tout le XVe siècle.

Les nouvelles armes à feu trouvent premièrement leur place pour la défense des châteaux et enceintes urbaines sans que cela change énormément l’architecture. Il s’agit surtout de remplacer les arbalètes (portatives ou sur pied) par les canons : les archères sont juste adaptées (canonnière). L’architecture militaire s’adapte pour utiliser la poudre, mais pas pour y résister. Les moyens de défense se perfectionnent au fil des siècles sans avoir de relation directe avec les armes à feu.

 

La fin du bois pour les assaillants

Malgré tout, certaines techniques de siège, à l’origine plus rapides ou moins couteuses, tendront à disparaitre au profit d’autres techniques qui seront facilitées par la poudre (la mine) ou simplement à cause de l’utilisation croissante de la poudre par les défenseurs.
D’une manière générale, les structures de bois (chat, beffroi, tortue bélière, mais aussi les mantelets et les palissades) commencent à disparaitre à partir du XVe siècle et surtout après la seconde moitié. Ces protections ne résisteront plus à l’artillerie des moyens et gros calibres placés dans les châteaux.
Les tranchées et la mine se généralisent pour les travaux d’approche ainsi que l’emploi de gabions (cercles de clayonnage remplis de terre). Les buttes de terre retenues par des gabions se développent également pour le campement des assaillants. Il s’agira en effet de la meilleure protection contre l’artillerie à feu.
Petit à petit, à partir de la seconde moitié du XVe siècle, on s’abaisse au niveau du sol et du sous-sol…

 

La révolution royale

Un élément primordial permettra de révolutionner l’art du siège : à la fin de la guerre de Cent Ans (milieu XVe siècle), les frères Bureau, artilleurs de Charles VII améliorent les canons, ce qui précipite la fin du conflit :
• Le boulet de pierre est remplacé par un boulet de fonte. Plus dur que la pierre des fortifications, il pourra disloquer les maçonneries les mieux appareillées sans s’exploser à l’impact.
• Le boulet de fonte sera d’un diamètre inférieur à celui de pierre (en conservant le même poids). Ceci permet de réduire le calibre des canons, ce qui offre plus de résistance à l’explosion de la poudre et améliore fortement les performances.
• La forme plus parfaite du boulet de fonte réduit aussi les pertes d’énergie lors de l’explosion de la poudre.
• Les canons seront donc plus légers et montés sur roues. Ils seront donc plus faciles à déplacer sur le lieu du siège, plus maniable et plus précis.
• Les canons seront coulés en bronze plutôt que réalisés en un assemblage de lamelles de fer et d’acier. Ceci augmente la résistance du canon et diminue les risques pour l’utilisateur.
• Vers 1429, l’invention du moulin à poudre permet de mieux la broyer pour une meilleure détonation. Le résultat est plus efficace et plus régulier que les anciennes poudres réalisées sur le champ de bataille.
• Vu l’augmentation des performances, les boulets tendent à devenir plus petits encore et donc moins lourds que les anciens boulets de pierre, tout en restant plus efficaces.

 

Une efficacité royale

L’artillerie à feu du roi de France devient capable de viser un endroit précis d’une fortification et d’en reproduire le résultat autant que nécessaire… Pour la première fois, elle peut battre en brèche ! Les résultats sont d’ailleurs meilleurs que les engins à balancier (grand trébuchet).
Chemins de ronde, mâchicoulis, toitures, portes et maçonnerie ne résistent plus aux chocs de ces boulets de fonte. En une année, le roi de France reprend les places normandes que les Anglais avaient mis plusieurs années pour contrôler seulement 30 ans auparavant.

L’efficacité de l’artillerie à feu devient telle que les villes se rendent sans combat. Leurs moyens de défense ne sont plus appropriés. Mais surtout, le roi de France, seul à posséder les nouvelles technologies d’artillerie, conforte son pouvoir central. Aucune place forte ne peut lui résister et sans avoir besoin de l’aide de seigneurs.
Le pouvoir de ses derniers se fractionne jusqu’à ne plus avoir une véritable importance. Ils sont dépassés économiquement et technologiquement, c’est donc par le roi et les villes que se développent les nouvelles technologies.

 

Les trois axes du changement

L’efficacité des canons royaux du milieu du XVe siècle repose sur trois éléments importants :
• La puissance des armes à feu devient bien plus importante que les anciennes techniques. Ces dernières deviennent obsolètes à partir du XVIe siècle, le canon se généralise pour le siège des places fortes.
• La portée des armes est améliorée, il devient possible de créer une brèche en dehors de tout risque de riposte. Toutefois, cet avantage ne sera pas entièrement mis à profit au Moyen Âge. Les transformations sont assez lentes, car les gens de l’époque ne changent pas radicalement les principes établis depuis plusieurs siècles.
• Le tir rasant est la grande différence par rapport à l’artillerie de bois et portera les germes des fortifications futures.
En effet, la trajectoire du projectile est peu influencée par la gravité sur les 80-100 premiers mètres. Le tir parabolique des machines à balancier était efficace pour créer une brèche ou tirer à l’intérieur du château ; toutefois, la poussée horizontale du boulet de fonte est bien plus destructrice pour les fortifications très hautes de l’époque. Les murs, même très épais, s’écroulent vu la poussée horizontale des coups. La fortification doit s’abaisser et être contrebutée par une masse importante de terre.
De même, les assaillants ne réalisent plus de hautes structures de siège, facilement ébranlables. Les tranchées se généralisent, et ceci pour les siècles à venir (jusque début du XXe siècle).

Les ingénieurs français de la fin du XVe siècle, dans leur euphorie offensive, ne se consacrent pas encore au perfectionnement de la défense. Pour la première fois au Moyen Âge, l’attaque prend l’ascendant sur la défense.
Il faudra attendre quelque temps que l’on prenne conscience de l’intérêt des feux rasants, croisés en avant des ouvrages pour réaliser une défense efficace.

 

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Texte : Fabien Houssin

CC BY-NC-SA 4.0