Malgré l’importance de cette étape, le principe de base est très simple : retirer de la matière uniquement là où l’arc ne plie pas assez !
S’il était possible de théoriser les étapes précédentes, au contraire, le tillering reste une pratique très empirique, basée sur l’observation et l’expérience. Nous tenterons toutefois de noter les informations nécessaires pour arriver à ces fins.

 

APPRENDRE DE CES ERREURS

Jusqu’ici, les risques de casser l’arc étaient presque nuls. Ce sera durant le tillering que cela arrive généralement (ce qui est préférable : autant le casser avant qu’il soit terminé !)
Nous avons déjà parlé des différentes raisons de la casse d’un arc et des solutions pour l’éviter. Toutefois, même avec une sélection minutieuse du bois et en respectant toutes les précautions, il arrive que certaines branches cassent. La facture d’arc s’approche toujours des limites de résistance du bois, les marges de sécurité sont minimes.
Le facteur d’arc amateur cassera généralement ces premiers arcs en se précipitant ou en faisant de mauvais choix. Commencez donc par des longbows (plus simple que le flatbow) et si possible de faibles puissances (moins de contraintes dans le bois).

Il arrive que la branche casse en début de tillering, c’est souvent dû à un mauvais bois ou une fissure mal placée. Par contre, lorsqu’il casse vers 25 pouces d’allonge (très frustrant puisque le tillering est pratiquement achevé), les raisons sont plus nombreuses : mauvais bois, mauvais tillering, mauvais choix du facteur d’arc à l’origine (longueur, reflex trop important, section des branches…) ou durant le tillering (zone trop sollicitée).

Il est nécessaire de se remettre en question après chaque casse, se demander si tout a été mis en œuvre pour réussir. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous mettons sur « papier », de manière plus théorique, notre expérience sur la facture d’arc.
Il est aussi nécessaire d’ « autopsier » l’arc cassé pour tenter de dégager les raisons de la casse. Cela n’est pas toujours fructueux, mais il faut souvent commencer par la fracture d’arc avant d’explorer sa facture.

Un ami nous a dit : « on n’est pas à l’intérieur du bois » et il est vrai que parfois il semble que le bois casse, car il est simplement de mauvaise qualité ! Parfois les cernes se séparent les unes des autres et laisse une sorte de poussière entre-elles (cernes peu cohérents), parfois aussi, il faut accepter de ne pas avoir d’explication claire… On n’est pas à l’intérieur du bois !

Malgré tout, il est possible de tester son bois avant de réaliser l’arc. Tim Baker conseille de scier une chute du bois en une baguette de section et longueur donnée, en respectant les fibres du bois et de la prendre en porte-à-faux dans une structure fixe d’un côté et de placer progressivement des poids de l’autre en contrôlant la déformation du bois et le poids auquel il finit par casser.
À force de réaliser ce test avec des dizaines de branches, il est alors possible de dégager les résistances moyennes et donc de connaitre si le bois testé est bon ou mauvais avant de démarrer le travail. Cette méthode est certainement très efficace, mais Tim Baker utilise principalement des planches commerciales, il est donc plus facile d’en ressortir une baguette carrée avec une chute. Dans le cas d’une branche, ce sera plus compliqué.
Nous n’avons pas encore trouvé de méthode simple de tester la résistance d’un bois avant le tillering. Nous espérons toujours…

 

LES RÈGLES DU TILLERING

Il n’y a pas de règle pour réussir le tillering d’un arc ! Nous sommes désolés de casser vos espoirs, il n’y a pas d’incantations spéciales, de formules magiques, ni même de recettes scientifiques pour réaliser un arc. Le succès repose surtout sur la patience et l’observation, toutefois, il est utile de garder en mémoire quelques principes de base :

PRINCIPE 1 – Retirer du bois uniquement là où l’arc ne plie pas assez

Ce principe résume tout le travail du tillering, l’expérience et l’observation feront le reste. À défaut d’expérience, il faudra prendre son temps et observer davantage. Il en résulte toutefois quelques autres principes : ne pas toucher là où l’arc plie de trop, retirer peu là où il plie légèrement moins…

La résistance d’une chaine se calcule en prenant son maillon le plus faible ; c’est un peu le cas pour l’arc aussi, sauf qu’il faut « limer » tous les maillons pour qu’ils aient la même résistance sinon il cassera ! Le tillering doit permettre de répartir les contraintes de flexion tout au long de la branche (éviter de les concentrer en une seule zone) et donc d’obtenir une courbure constante de l’arc. La forme idéale des branches d’un arc totalement droit sera donc un arc de cercle. Les extrémités ne plieront pas beaucoup (sinon ce serait trop cassant) et la poignée pliera légèrement pour les longbows ou pas du tout chez les flatbows.

forme idéale de la courbure des branches pour un longbow Équilibrage d’un longbow
forme idéale de la courbure des branches pour un flatbow Équilibrage d’un flatbow

Durant la fabrication d’un arc simple, nous n’ajoutons pas de matière par collage. Du coup, si le bois plie trop à un endroit, c’est qu’il est trop faible à cet endroit. Il faudra donc retirer de la matière partout ailleurs.
Il existe principalement deux cas de figure :
– L’arc plie à un endroit précis de la branche (certains appellent cela une « charnière »), parfois même, il ne plie qu’à cet endroit. Il faudra donc retirer du bois partout sauf à l’endroit de la charnière jusqu’à obtenir une flexion plus régulière des branches.durant le tillering, une partie d'une branche peu plier plus que le reste de l'arc - charnière
– Une branche plie plus que l’autre, il faudra juste retirer du bois sur l’entièreté de l’autre branche afin de diminuer sa puissance de manière uniforme.
durant l'équilibrage des branches de l'arc, une branche peu plier moins que l'autre

La plupart du temps, le tillering se situe entre ces deux cas de figure et bascule de l’un à l’autre. Dans un premier temps, il faudra trouver une courbure uniforme (enlever l’effet charnière) avant de rechercher à équilibrer les branches entre elles.
Idéalement, l’endroit le plus faible au début du tillering restera intact (non travaillé), ce seront les autres parties de l’arc qui permettront d’obtenir un bon équilibrage. Dans la réalité, en équilibrant les branches, nous créons de nouvelles légères charnières à réajuster : le tillering est un aller-retour entre les deux cas de figure.
Le risque pour les débutants sera de ne jamais se stabiliser sur une forme correcte, de passer de charnière en charnière…

 

PRINCIPE 2 – Rester patient et observer régulièrement !

C’est lorsque l’on perd patience que l’on crée de nouvelles charnières continuellement… que l’on passe d’un arc de potentiellement 50 livres à un arc final de 20 livres !
L’autre risque sera de se satisfaire d’une courbure très imparfaite de l’arc. En effet, une courbure approximative n’engendra pas forcément la casse de l’arc et satisferont les facteurs d’arc amateurs, toutefois, les performances de l’arc seront réduites significativement.

La meilleure manière d’éviter les erreurs qui font perdre beaucoup de temps, c’est de prendre son temps !… de retirer peu de matière et de vérifier régulièrement et progressivement la courbure.

Malgré tout, certains pourront opter pour une solution à l’opposé : faire le tillering très rapidement (15-30 minutes), quitte à casser l’arc et recommencer avec un autre. Ce ne sera pas forcément plus long pour arriver à un arc fonctionnel que de passer 3-4 heures à peaufiner le tillering. Toutefois, cela convient pour les essences faciles à trouver et puis, le résultat sera souvent plus approximatif, le tillering sera rarement parfait sauf avec beaucoup d’expérience.

 

PRINCIPE 3 – Ne jamais dépasser la courbure finale de l’arc

En début de tillering, il arrive que l’arc ne plie qu’à un seul endroit sur quelques centimètres de large. En tirant excessivement sur la corde (parfois juste en tirant de quelques pouces), cette zone peut donc plier au-delà de ce qu’elle pliera en définitive lors de l’utilisation de l’arc, ce qui est mauvais pour le bois ! Ce sera donc durant les premiers pouces d’allonge qu’il faudra faire le plus attention. Ne jamais démarrer en tendant trop l’arc !

Charière localisée faiblement tendueLa flexion locale est identique à la forme idéale finale. En relâchant la corde, un léger suivi de corde est possible, mais qui se généralisera en fin de tillering.

 

Tillering avec une charnière localisée tendue excessivementLa flexion locale est supérieure à la forme idéale finale. En relâchant la corde, un suivi de corde est très probable. L’arc aura été surcontraint durant le tillering, plus qu’il ne le sera ensuite durant son utilisation.

En pliant, le bois conserve une certaine élasticité qui lui permet de revenir à sa forme initiale. Toutefois, en augmentant les contraintes, la flexion fait dépasser les limites élastiques du matériau et entre dans le domaine « plastique » (environ 50-65% de la limite de rupture). À ce moment, si l’on relâche la contrainte, le bois ne reviendra plus totalement en place (suivi de corde). C’est irréversible ! Le bois se rapproche de sa limite de rupture.
En construction, le bois est utilisé à 20-25% de sa limite de rupture (pour éviter les déformations par fluage – lorsqu’il est contraint durant plusieurs années), mais en facture d’arc, il arrive que ça casse !

courbe du module d'élasticité - zone plastique, élastique et déformation
En fin de tillering, l’arc sera presque toujours armé jusqu’à sa limite plastique (selon les essences et leur élasticité), c’est pourquoi il prend presque toujours un suivi de corde.
Toutefois, si l’arc a été surcontraint à un endroit, il prendra un suivi de corde localisé dès le début du tillering. Cela se repère avec certaines essences, comme le noisetier, par des plis de compression sur le ventre de l’arc. Pour les autres essences, c’est souvent invisible.

Cette courbure doit être prise en compte durant le reste du tillering comme une erreur et pas comme courbe naturelle. Si ceci n’est pas pris en compte, cette zone sera contrainte davantage durant le reste de l’équilibrage et s’approchera d’autant plus de sa limite de rupture.

De même, en fin de tillering, si une branche plie moins que l’autre, il ne faudra pas tenter d’armer l’arc à pleine allonge avant d’avoir obtenu une courbe équilibrée sinon une des branches aura été surcontrainte par rapport à l’autre (plus proche de la rupture, risque accru de suivi de corde).

Pour résumer : un suivi de corde signale une surcontrainte irréversible de la branche lors du tillering. S’il est généralisé, il n’est pas forcément gênant et signifie juste que le bois a travaillé dans le domaine plastique, mais s’il est localisé, il faudra continuer le tillering comme si la branche était restée droite.

 

PRINCIPE 4 – Ne pas dépasser la puissance finale de l’arc

Ce principe complète le précédent. En effet, il est préférable de ne jamais dépasser la puissance finale de l’arc durant le tillering pour ne pas le contrainte au-delà de ce qu’il subira ultérieurement. Il peut donc être utile de tendre d’arc avec un peson pour vérifier en direct la puissance exercée (avec l’expérience, il sera plus simple d’estimer manuellement la puissance).
En effet, si l’arc désiré fait 50 livres, il sera utile de ne jamais contrainte l’arc au-delà de ce seuil (avec une légère marge). S’il est contraint à 70 livres à un moment, il aura subi des contraintes plastiques plus importantes que durant son utilisation, il risque alors un suivi de corde plus important et la perte d’efficacité qui en résulte.

 

PRINCIPE 5 – Les arcs tordus respectent les mêmes principes

Le tillering des arcs tordus (avec des courbes asymétriques) ne diffère pas des autres arcs. Toutefois, la difficulté sera de répartir les contraintes de flexion tout au long des branches, de le faire plier à tout endroit de la branche. Cela implique de conserver en mémoire la forme de l’arc débandé durant le tillering, de se rappeler que les zones reflex sembleront moins plier visuellement que les zones deflex. En effet, naturellement nous aurons tendance à vouloir retrouver une forme de courbure plus « parfaite » géométriquement, mais au contraire, il faut que la courbure respecte la forme de base du tronc.

Lorsque l’arc a de très légères ondulations, il est possible de tracer une ligne droite sur ses faces latérales et de faire le tillering selon cette ligne. Toutefois, les arcs seront souvent trop courbes pour rendre cela possible (c’est le cas aussi pour les arcs reflex), il faudra donc réussir à mémoriser mentalement les endroits où l’arc doit sembler plus arrondi ou au contraire plus droit.

 

EXEMPLES DE TILLERING

Forme de base – Flatbow droitforme idéale de tillering d'un flatbow droit

 

Forme de base – Longbow droitforme idéale de tillering d'un longbow droit

 

Arc légèrement torduforme idéale de tillering d'un longbow légèrement tordu

 

Arcs fortement tordusforme idéale de tillering d'un longbow tordu
forme idéale de tillering d'un longbow tordu

 

Arc deflexforme idéale de tillering d'un longbow deflex

 

Arc reflexforme idéale de tillering d'un longbow reflex

 

Arc reflex torduforme idéale de tillering d'un longbow reflex tordu

 

Arc « set back » forme idéale de tillering d'un longbow set back

 

Arc recurve flexible – « working recurve » (la courbure des extrémités s’ouvre légèrement)forme idéale de tillering d'un longbow recurve flexible

 

Arc recurve statique (l’extrémité plus épaisse ne plie pas, flexion jusqu’au recurve uniquement)forme idéale de tillering d'un longbow recurve statique

 

Et terminons par quelques mauvais exemples…

(en partant du principe que les arcs sont parfaitement droits, en bleue la forme idéale)…

Longbow ne pliant pas à la poignée.
Ceci permet de réduire le choc lors du tir, mais réduit aussi l’efficacité de l’arc et sa durée de vie (risque de suivi de corde accru). Il y a trop de matière à la poignée.
Cette forme peut être intéressante lorsqu’un archer de petite allonge désire tirer avec un arc de grande envergure. mauvais tillering - le longbow ne plie qu'aux branches

 

Arc ne pliant qu’à la poignée
Forme la plus inefficace ! Les extrémités sont trop épaisses pour fléchir, l’arc ne plie qu’au centre… perte de vitesse, choc très important lors du tir, suivi de corde très important. A ÉVITER !mauvais tillering - le longbow ne plie qu'au centre

 

Tillering asymétrique
Une branche plie plus que l’autre et risque d’avoir un suivi de corde excessif (perte d’efficacité, risque de casse), difficulté de régler le détalonnage.
L’arc aura souvent une orientation meilleure que l’autre (s’il peut être retourné – flatbow symétrique ou longbow). L’idéal sera de placer la branche plus rigide en bas afin de tirer légèrement plus vers le haut et de compenser la gravité. C’est d’ailleurs une question à se poser en fin de tillering. Pour les longbows de type anglais (et pour tout arc destiné à tirer à longue distance), le tillering très légèrement asymétrique est d’ailleurs la norme.
La courbure asymétrique n’est pas toujours simple à identifier, sauf en observant la poignée (oblique).mauvais tillering - le longbow plie plus d'une branche - forme asymétrique

 

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Texte & schémas : Fabien Houssin

CC BY-NC-SA 4.0