La pierrière (caable ou calabre) – ? (V – X) au XVe siècle

Portée : 40-80 m Boulet : 3-12 kg Cadence : 2 tirs/min. Utilisateurs : 8-20 (+1 pour le sac)

Il s’agit certainement de la première machine à balancier, on ne peut pas encore parler de contrepoids puisque celle-ci demande la force humaine pour tirer.
II semblerait que les Mongols de l’armée d’Attila (Ve siècle) utilisaient déjà des engins à balancier ; mais les documents les plus anciens parlant de cette arme datent du Xe siècle (ouvrage byzantin).
Cette machine ne demande pas de réglages savants pour déterminer le point d’ouverture de la fronde ; celle-ci s’ouvre lorsque la branche courte de la verge frappe brutalement l’échafaud (pièce fixe). Le grand inconvénient est le même que les catapultes romaines : le choc est violent et fausse les parties fixes demandant ainsi un entretien régulier.
Cette arme n’a certainement jamais été utilisée pour détruire les défenses (organes défensifs du château) car il aurait fallu s’approcher trop près ; mais elles étaient efficaces sur les courtines (il fallait alors aménager une plate-forme en bois) ou dans les lices (espace entre la muraille et la palissade avancée – braie), elles étaient redoutables contre la cavalerie aussi bien armée qu’elle soit (boulet de 1 kg à 140km/h).

 

La bricole (ou mangonneau à traction) – XIIe au XVe siècle

Portée : 60-80 m Boulet : 10-20 kg Cadence : 2 tirs/min. Utilisateurs : 8-20 (+1 pour le sac)

Les ensgeniors finirent par améliorer la pierrière en évitant le choc contre la structure. La verge n’étant plus arrêtée, il fallut alors chercher un système permettant de relâcher le boulet. « (…) le balancier pivote librement, sans heurt, ce qui permet une grande longévité de la machine, une meilleure restitution de l’énergie et, en alourdissant sensiblement avec des plaques de fer la poutre à la base du balancier (où sont fixées les cordes de halage), de meilleures performances, préfigurant les machines à contrepoids. »1
Les premières machines ont certainement été réglées par essais-erreurs, mais les engins devenant de plus en plus destructeurs (pour les machines suivantes), il est fort probable que des calculs aient été à la base de l’ouverture de la fronde.
« Ces calculs, relativement simples avec le tracé géométrique, sont à la base de tout le fonctionnement de l’artillerie à contrepoids. Ils rendent possible l’ouverture de la fronde au moment opportun sous l’action de la force centrifuge et donc sans choc (…) »2

Cette arme pouvait être utilisée pour défaire les défenses, il fallait alors une bonne palissade pour protéger les tireurs qui devaient s’approcher à une cinquantaine de mètres de l’enceinte ! Son utilisation était certainement moins risquée sur les courtines ou dans les lices.
D’ailleurs, Simon de Montfort trouva la mort au siège de Toulouse (1218), recevant un boulet d’une de ces machines (manipulées par les défenseurs de la place). La puissance fut telle que « lorsque nous voulûmes lui ôter le casque, la cervelle venait avec ».Cette même bricole était utilisée par des femmes, ce qui est logique : les hommes défendant le château avec les armes, la main d’œuvre restante (donc les femmes principalement) était utilisée pour le fonctionnement de ces machines ne nécessitant pas de directives d’un ensgenior

.

 

Le mangonneau (ou trabatium) – XIIe au XVe siècle

Portée : 150-200 m Boulet : 100 kg et plus selon la taille de la machine Cadence : 1-2 tirs/heure. Utilisateurs : une douzaine d’hommes (+ les artisans, les ensgeniors…)

Les ensgeniors remplacèrent la force humaine (nécessaire pour rabattre la verge de la bricole) par un contrepoids fixe de plusieurs tonnes.
Ce contrepoids fixe (dans le prolongement de la verge) est le grand handicap de cette machine :
• Il doit être rempli correctement avec un matériau qui ne bougera pas lorsqu’il s’abaisse, afin de ne pas ralentir la descente (ce qui diminue la portée) ou de ne pas dévier le tir mais surtout de ne pas provoquer d’à-coups et de vibrations néfastes pour la stabilité de la machine.
Le meilleur matériau étant donc le plomb (à l’époque moins cher que le fer) ; de grande densité, il permet de réduire la taille du contrepoids mais il fallait le transporter sur le site du siège ! (imaginez transporter plusieurs tonnes de plomb).
• Le contrepoids fixe demande également plus de force pour abaisser la verge (lever ce contrepoids), ce qui demande à placer une roue de carrier pour augmenter le moment de force du cabestan (d’où le nom de mangonneau à roue(s) de carrier).
• Un autre inconvénient du contrepoids fixe est l’impulsion exercée lors du déclenchement : une reconstitution (en 1998) d’un grand mangonneau a été réalisée (8m de haut verge levée, 3 X 5 mètres au sol 6 tonnes de contrepoids) : lors de son utilisation, il ruait dangereusement et risquait de se disloquer !

 

Le grand trébuchet (bride, biffa, brède, trabuc) – fin XIIe au XVIIe siècle



Portée : 200-250 m (et peut-etre plus) Boulet : 100-150 kg selon la taille de la machine Cadence : 1-2 tirs/heure. Utilisateurs : 12-20 (+ les artisans, les ensgeniors… une centaine en tout)

La seule modification est donc le contrepoids qui devient mobile (et ses dimensions plus importantes pour la même puissance que le mangonneau).

Une reconstitution a été réalisée pour la comparer avec le mangonneau déjà cité. Son contrepoids était rempli de terre et de pierre, les dimensions étaient obligatoirement plus impressionnantes – pour compenser avec des pierres la masse du contrepoids en plomb du mangonneau – (18 mètres de haut verge levée, 8,5X12,5 mètres au sol – comme décrit par Villard de Honnecourt au XIIIe siècle). Après 4 tirs (2 à 3 heures) il ouvre une brèche à 200 mètres permettant de passer à cheval dans un mur de granit de 210 cm d’épaisseur (avec des boulets de 135 kg).

En conclusion de cet exercice de reconstitution :
• Le trébuchet était un peu plus précis (le mouvement de descente est contrôlé par le contrepoids mobile); il permet en fait de tirer exactement au même endroit à chaque coup (sauf si le vent tourne brusquement), ce qui le rend plus efficace.
• Il ne risquait pas de se disloquer par un mauvais remplissage.
• Le trébuchet demandait plus de bois de construction (plus grandes dimensions) mais pouvait être rempli avec la terre ou des pierres trouvées sur place au lieu de plomb importé (d’où une diminution du prix du matériau et surtout du transport) !

Le trébuchet et le mangonneau restèrent cependant deux engins utilisés en même temps (le mangonneau tendant toutefois à disparaître), cela pourrait provenir des calculs géométriques plus complexes que demande le trébuchet (les ensgeniors étant rares, le mangonneau était plus facilement réalisable au début)
La tâche du trébuchet et du mangonneau est bien connue : marteler un endroit précis et de préférence plus faible (archères, latrines, etc.) afin d’ouvrir une brèche. La seule parade possible étant de boucher la galerie touchée par une palissade et de la terre amortissant les chocs (comme il sera fait contre l’artillerie à feu – remparement).

Que lançaient ces machines à balancier ? Des boulets, mais on imagine pourtant que ces boulets prenaient une dimension différente selon la machine utilisée et selon la portée voulue.
Ajoutons que les pierres n’étaient pas les seuls projectiles, on utilisait aussi des projectiles incendiaires comme des barils ou des « pochonnets » (petit pot de terre cuite ou de verre), des grenades à chaux vive, des bouteilles empoisonnées, ou toutes sortes de récipients contenant des matières détonantes, de la mitraille, etc. voir même la tête ou le corps des prisonniers (ou messagers).

Il faut différencier les boulets de moins de 20 livres (10 kg) et ceux de plus de 20 livres, leur matériau étant différent :
• Les boulets de moins de 10 kg (lancés par les machines à traction humaine et les petits trébuchets – p.172)
Il peut s’agir de pierre taillée, de galets ou de cailloux roulés de rivière, mais on utilise aussi des « pâtons » (agglomérat de cailloux). Pour la fabrication de ces derniers, on mélange des cailloux (ou morceaux de pierre) à de la chaux, le tout sera séché au soleil fig1&3; pour des plus gros gabarits on ajoute une couche après les avoir cuitsfig2. Ils sont souvent réalisés en temps de paix et entreposés.
(fig 3 – on voit encore l’empreinte d’une main d’enfant)

• Les boulets de plus de 10 kg : Il peut toujours s’agir de pierres de rivière ou taillées ; le principal étant qu’ils glissent bien dans le sac de la fronde ; sinon ils risquent de rester bloqués dans ce sac, ou partir trop tard et ainsi détruire la machine !
En temps de paix, on utilise un gabarit pour tailler les boulets afin de les rendre bien ronds (plus aérodynamiques !) et qu’ils aient le même poids (et atteindre la cible exactement au même endroit !). Gilles de Rome recommande d’ailleurs de les peser.
Cependant, il n’est pas toujours possible d’entreposer beaucoup de pierres, encore moins pour les assiégeants qui préfèreront les pierres trouvées sur le site. Précisons que les pierres de même nature que la fortification ne se brisent pas lors du choc et sont donc plus efficaces, d’où l’intérêt d’utiliser les pierres du site.

Dans la chanson de la croisade albigeoise, on ne trouve que trois pierres qui pourraient être lancées (sans casser) dans un rayon d’une grande lieue (4 km). La première détruit une tour, la deuxième ruine une salle, la dernière casse, « sans quoi elle eût coûté cher à ceux qui étaient dans la ville ».
Le manque de pierre pouvait être une raison pour ne pas utiliser les trébuchets ; et une bonne raison de l’utiliser contre les châteaux de montagne – où ni la mine, ni la sape n’étaient possibles.
Parfois, on utilise les pierres des bâtiments voisins (retaillées au besoin), dans ce cas, comme en cas de besoin rapide, on ne taille de manière régulière qu’une seule face de la pierre (partie contre la poche de cuir) fig4.

D’après des essais effectués par des tailleurs de pierre, il faut 5 à 6 heures pour tailler une pierre et de 30 minutes à une heure pour en tirer une avec un trébuchet (donc besoin de 5 à 12 tailleurs pour un trébuchet).

– Le « petit » trébuchet (ou bible) – XIIe siècle – ? (XV peut-être)
IL S’AGIT DE TREBUCHETS PLUS PETITS MAIS IDENTIQUES DANS LEUR PRINCIPE.
Ils servaient soit à démolir les organes défensifs du château, soit, placés dans celui-ci ou dans les lices, à détruire les machines ennemies. En effet, il est inutile de lancer des pierres de gros gabarit sur des machines de bois, la portée étant identique à celle du grand trébuchet.
Ils pouvaient être placés dans la cour du château et lancer par-dessus les courtines sans que l’ennemi ne puisse le repérer (et donc le détruire) ; cependant, les placer en haut des tours permettait de tirer plus loin sans risquer de détruire ses propres défenses ! Ces machines pouvaient aussi être montées sur roues afin de rendre leur déplacement plus simple.
Ces petites machines (qui atteignent tout de même plusieurs mètres de haut) devenaient alors de redoutables adversaires pour les grands trébuchets : leur tir est beaucoup plus rapide et les trébuchets prennent trop de temps à être déplacés pour fuir une telle menace !
Certains trébuchets étaient très petits (même gabarit que la bricole) et leur verge pouvait être abaissée par quelques hommes à l’aide d’une corde (accrochée au bout de la verge). Il permettait donc de lancer très rapidement avec la précision du trébuchet et pour un minimum de main d’œuvre ; leur utilisation étant la même que la bricole.

– Le couillard – XIVe au XVIe siècle
Amélioration du petit trébuchet, on place deux contrepoids articulés (ou bourses) de chaque côté de la verge (ceci expliquant son étymologie), réduisant ainsi la structure portante à un seul poteau parfois planté dans le sol.

– Le trébuchet à flèches
Villard de Honnecourt (XIIIe siècle) nous donne les plans de la base d’un trébuchet ; son explication est claire et semble décrire un trébuchet (comme vu précédemment) ; seulement, il parle de flèches : « Si vous voulez faire le fort engin qu’on appelle trébuchet, faites ici attention. Voyez ici les semelles par lesquelles il repose sur terre. Voici, au-devant les deux guindeaux (treuils) et la corde pliée avec laquelle on ramène la verge. Vous pouvez la voir sur une autre page. Il faut un grand effort pour la ramener car le contrepoids est très pesant. Car c’est une benne pleine de terre, qui a deux grandes toises de long et neuf pieds de large et douze pieds de profondeur. Et pensez au décochement de la flèche et faites-y attention. Car elle doit être appuyée à cette traverse qui est devant. »1

Par un rapide calcul, on obtient un contrepoids de 18 m3 soit 22 tonnes !! (c’est bien plus que les 6 tonnes utilisées lors de l’expérience décrite précédemment !)

Aucun autre document ne parle de cette machine à trait, il reste qu’un tel poids devait envoyer une flèche à une belle distance ! Viollet-le-Duc, lui, traduit le mot « fleke » (ancien français) par cheville et pense qu’il s’agit d’un grand trébuchet « normal » (fig2 p.169)
On sait pourtant que les Romains utilisaient certaines machines aussi bien pour lancer des flèches que des boulets sans grand changement (la baliste par exemple). Il est donc possible que ce trébuchet à flèches soit une simple transformation du trébuchet à pierre (où l’on ajoute une structure tenant cette flèche) car il est peu probable que l’on paie un ensgenior pour une arme de trait uniquement – celles-ci ne pouvant briser des murailles (-avis personnel-). La trajectoire parabolique devait permettre de passer au-dessus des murailles pour atteindre les défenseurs !

CC BY-NC-SA 4.0