Il existe plusieurs manières de commencer un arc :
– Choisir une branche pour sa forme ou son essence et tenter d’en faire l’arc le plus approprié, le plus efficace selon le potentiel du bois.
– Choisir une forme d’arc que l’on aimerait utiliser et rechercher la branche qui le permettra.
Dans les deux cas, le choix de l’arbre est primordial, car il détermine la forme et la puissance de l’arc définitif, mais aussi parfois la manière de le façonner.
L’ESPÈCE D’ARBRE
« Premierement de tous boiz poeult on faire arcs, mais les meilleurs sont de yf ». Voilà ce que disait un archer de la fin du Moyen Âge à propos des bois pouvant être utilisés pour fabriquer des arcs.
Nous pouvons certainement réaliser des arcs avec tous les bois, toutefois le choix de l’essence influence plusieurs données :
– Les propriétés physiques du bois influencent les formes possibles de l’arc (les bois légers ou peu adaptés devront être travaillés en flatbow si l’on désire une puissance importante).
– Certains bois résistent mal en compression (le noisetier par exemple), la section de l’arc sera donc différente (ventre de l’arc aplati).
– La densité du bois est une donnée importante qui affecte la puissance (plus le bois est dense, plus l’arc sera puissant pour une section donnée).
– Les outils n’entaillent pas tous les bois de la même manière.
– Certains bois sont plus tortueux ou noueux que d’autres…
– LES ESSENCES COURANTES –
Si tous les bois peuvent être utilisés, il y aura toutefois des essences plus propices à faire des arcs, surtout si vous recherchez un arc puissant.
Voilà quelques espèces que l’on trouve aisément dans nos régions :
– Frêne
– Robinier (acacia, ou faux acacia)
– Érable champêtre
– Noisetier
– Aubépine
– Troène
– Chêne
– Bouleau …
Nous n’avons pas réalisé d’arc avec toutes ces essences, donc, nous conseillerons surtout les premières, mais d’autres facteurs d’arc en ont déjà réalisé avec succès. Pour reconnaitre les arbres, vous devrez trouver une bonne clé de détermination des arbres. La plupart des arbres de la liste sont courants et donc rapidement reconnaissables. Voici aussi notre article concernant les différents bois que nous avons déjà utilisé (caractéristiques physiques, identification, expérience…).
– LES ESSENCES HISTORIQUES –
Comme le dit notre auteur-archer médiéval, l’if est souvent considéré comme le meilleur bois dans nos régions. Il sera toutefois plus difficile à trouver! Donc, si vous avez la chance d’en avoir, exercez-vous d’abord avec des bois plus courants.
Il est bien sûr possible de trouver des ifs dans nos régions, mais ils sont souvent plantés dans les vieux parcs autour des églises, des châteaux, les cimetières… bref, la coupe d’un if est rarement la bienvenue, surtout qu’il faut généralement trouver des sujets de plus de 50 ans pour en retirer des arcs.
L’if ne donnera pas un arc plus efficace ou rapide. Par contre, il permettra de réaliser des arcs très puissants (plus de 100 livres), mais nous connaissons peu d’archers utilisant ces arcs de manière intensive.
L’autre avantage de l’if c’est qu’il entraine moins de suivie de corde, mais nous avons une astuce pour éviter que cela ne se produise pour les autres bois !
L’orme est une autre espèce « historique » pour réaliser des arcs. De nombreux arcs préhistoriques (parmi les plus anciens retrouvés) étaient réalisés en orme. Par contre, l’orme a pratiquement disparu en Europe à cause de la graphiose (maladie). C’est le cas dans notre région au moins !
LA BRANCHE
La forme de la branche ou du tronc influencera directement la forme définitive de l’arc. Certains préfèreront donc la facilité et la beauté d’un arc parfaitement droit (ou presque), d’autres préfèreront le défi et les courbes d’un arc tordu (la branche sera toutefois plus simple à trouver).
Selon les espèces d’arbres et leur grandeur, il sera parfois plus simple de couper une branche ou l’arbre en entier. Souvent, les arbres groupés poussent verticalement et permettent de réaliser des arcs directement dans leur tronc. Pour les arbres isolés, vous pourrez parfois utiliser une branche suffisamment droite et épaisse (les Amérindiens n’utilisaient alors que la partie supérieure de la branche, car la partie inférieure a été contrainte en compression toute sa vie).
Il est également utile de regarder correctement l’arbre, les feuilles, le tronc… afin de tenter de déceler de possibles anomalies (arbres en train de mourir, attaques d’insectes…). Si le tronc semble tourner autour de son axe (torsion), il est très probable que les fibres du bois se tordent aussi (beaucoup plus difficile à travailler, à refendre et sécher).
CROISSANCE LENTE, ARC PLUS PUISSANT
« Et tout bois tant plus est de grosse seve et tant plus est volontiers lasche »
Une même essence de bois peut pousser à des vitesses très différentes. Par exemple, les cernes du frêne peuvent être espacés d’1cm pour un arbre jeune ou de 2mm sur d’autres.
L’auteur du Moyen Âge nous indique donc que les bois aux cernes larges seront plus lâches (à comprendre, moins de résistance, donc moins puissants)… pour une section et une longueur donnée.
En réalité, ce qui change, c’est essentiellement la masse volumique du bois, principale donnée influençant la puissance de l’arc.
Dans un terrain peu propice, l’arbre poussera plus lentement, créant un bois plus dense. L’arbre doit donc idéalement pousser :
– à l’ombre,
– Au milieu d’autres arbres
– dans un terrain difficile (roche, rocaille, terre peu fertile…)
– pas trop proche d’un cours d’eau.
Certains facteurs d’arcs considèrent que les bois ayant des cernes très écartés ne sont pas aptes à faire des arcs… Il faut toutefois nuancer :
À puissance et longueur égales, un bois plus léger sera aussi rapide qu’un autre s’il est travaillé correctement (en attestent les différentes expériences de Tim Baker).
Toutefois, cela concerne essentiellement les flatbows dont la faible épaisseur des branches permet de réduire les contraintes internes. Les flatbows réalisés dans un bois léger devront être plus larges pour être aussi efficace qu’un même arc réalisé dans un bois ayant des cernes plus étroits (conserver une épaisseur identique).
Les longbows ne suivent pas vraiment cette règle, car, lorsqu’ils sont réalisés dans un bois léger, ils devront alors être plus épais et donc plus difficiles à prendre en main (paradoxe de l’archer plus important aussi)… L’épaisseur influence aussi les contraintes dans le bois, l’arc plus épais aura donc aussi plus de risque de casse ou de suivi de corde pour des puissances élevées. Voilà donc quelques raisons de choisir un bois aux cernes plus fins pour des longbows dépassant les 50 livres.
CROISSANCE À L’OMBRE, ARC PLUS DROIT
L’arbre poussant au milieu d’autres arbres ne reçoit pas autant de lumière (d’où une pousse plus lente), son étalement est aussi souvent gêné par d’autres plantes. Cela l’oblige à croitre en hauteur dès le début de sa vie. C’est le cas pour les jeunes arbres en forêt poussant auprès d’arbres adultes, mais aussi pour des arbres très serrés (bosquet…)
Dans ces conditions, le bois est plus dense, plus droit et il aura moins de branches basses (nœuds). C’est donc plus aisé d’en retirer des arcs.
LES BOIS COURBES
Les bois ayant des courbes ou des nœuds sont bien souvent plus difficiles à travailler, mais les facteurs d’arc aiment les challenges et surtout les arcs uniques, loin de la réalisation standardisée des industries !
Il existe différentes sortes de bois courbes :
– soit la branche est courbe sur toute sa longueur et dans une seule dimension. Dans ce cas, il est souvent possible de récupérer un côté de manière à obtenir un arc ayant un reflex naturel (plus efficace). Toutefois, les autres quartiers du tronc seront plus difficilement utilisables.
– Soit la branche est courbe dans une seule dimension, mais la courbe est située à un ou plusieurs endroits. Si la courbe se situe à la poignée, la situation est proche du premier cas. Sinon, il est toujours possible de l’utiliser, mais l’équilibrage des branches sera plus difficile, et la forme de l’arc sera moins régulière.
– Soit la branche est courbe dans plusieurs dimensions. Il s’agit d’un cas difficile lors de l’équilibrage… À éviter pour les débutants, même si la forme est particulièrement jolie bien souvent.
Flatbow en noisetier – 50#@28″
ET LA SCIERIE, ALORS ?
Une solution « facile » consiste à acheter une tranche de bois en scierie ou dans un magasin de bricolage. C’est tout à fait possible d’en retirer des arcs très performants ! Le facteur d’arc américain Tim Baker fabrique de nombreux arcs de cette manière et cela ne lui prend que quelques dizaines de minutes ! En effet, certaines étapes ne sont plus nécessaires et il ne subsiste plus que l’essentiel de la facture d’arc : le tillering.
Avec les bois commerciaux, la difficulté c’est que l’on ne connait rien de leurs caractéristiques (lieu de croissance, situation, séchage…). Il est donc plus difficile d’apprendre de ces erreurs. Par contre, l’avantage, c’est de pouvoir choisir des bois plus rares dans nos régions.
Le principal critère pour pouvoir sortir un arc d’une planche, c’est de trouver un morceau de bois dont la coupe suit le sens des fibres… Ceci ne représente que 1 ou 2% des bois … avec de la patience c’est donc possible d’en trouver (ou avec l’aide d’un employé qui fait une présélection et vous laisse des morceaux de côté). Toutefois, si vous avec la patience pour sélectionner le bois en scierie, vous l’aurait aussi pour vous promener dans un cadre verdoyant pour trouver votre arbre et de le façonner petit à petit jusqu’à obtenir un objet unique !
Dans le cas d’un bois commercial, on peut le prendre dans tous les sens, mais il faut retravailler les surfaces pour retrouver le sens des fibres du bois sinon l’arc cassera très certainement.
L’autre solution, c’est de sélectionner une planche dont les fibres sont peu sectionnées, de la couper à la scie électrique selon la forme finale de l’arc et de placer un backing (fibres collées sur le dos de l’arc pour le renforcer). Le backing (ou renfort) évite que l’arc casse, mais il alourdit légèrement les branches (moins performant).
En ce qui concerne nos explications, nous tenterons de rester dans le domaine médiéval, donc en choisissant l’arbre sur pied.
LE DIAMÈTRE
Tout naturellement, il sera plus simple de trouver une branche d’un faible diamètre, mais plus il sera faible, moins vous aurez de possibilités pour réaliser votre arc. Le diamètre le plus important est celui mesuré à la poignée de l’arc (il déterminera souvent la puissance finale de l’arc). Pour les bois lourds, comme le robinier, l’aubépine, le cornouiller, on peut compter que l’épaisseur de l’arc sera environ 10-20% plus fin (donc un tronc plus petit peut convenir). Pour les bois légers, comme le noisetier, le saule, il faut ajouter 10-20%, de même pour les bois ayant eu une croissance plus rapide que la normale.
Voici les quelques possibilités selon le diamètre du rondin (le dos de l‘arc est représenté en haut des dessins par simplicité) :
Moins de 5 cm de diamètre
Réaliser un flatbow en priorité.
Il faudra alors conserver toute l’épaisseur du bois à l’endroit de la poignée (en bleu) et retirer la moitié de l’épaisseur sur les branches (en rouge) et diminuer en largeur et en épaisseur tout au long de la branche.
Possibilité de longbow (faible puissance)
Privilégier une section à ventre plat (carré), car la section en D perdra beaucoup de puissance (et ressemblera plutôt à un rond). Retirer la moitié de l’épaisseur de la branche sinon l’arc aura plus de risque de casser.
Un faible diamètre augmente la courbe sur le dos de l’arc, celui-ci sera donc légèrement moins efficace.
Il y a également plus de matière à retirer (plus de la moitié du bois), ce qui peut augmenter légèrement le temps de fabrication de l’arc.
Exemple d’un flatbow réalisé à partir d’un faible diamètre :
Flatbow 50#@28″ Frêne
Flatbow 50#@28″ jeune if
et un longbow de faible puissance :
Longbow 30#@28″ jeune if
Entre 5 et 8 cm
Réaliser un longbow carré (ou en D) en priorité.
Suffisant pour réaliser des longbows d’une cinquantaine de livres.
Possibilité de réaliser un flatbow.
Idem que pour le diamètre inférieur. L’épaisseur à la poignée (en bleu) sera de 4-5 cm environ.
Beaucoup de matière sera retirée (solution peu économe en temps, mais qui permet de réaliser des arcs puissants).
Possibilité de réaliser un flatbow travaillé à l’envers. Il faut alors refendre soigneusement le bois et placer le dos de l’arc du côté cœur de l’arbre. Ceci permet d’obtenir une section parfaitement rectangulaire (plus efficace), mais augmente les risques de casse si vous ne suivez pas correctement les fibres du bois côté dos.
Possibilité de réaliser un flatbow travaillé en coupant les cernes
Il s’agit d’une solution intermédiaire entre le travail à l’envers et le flatbow à dos courbe. Il faut recouper les premiers cernes sur le dos afin qu’il soit plat et faire très attention de suivre les fibres du bois. Les branches doivent être en dehors du centre de la branche (solidité).
Possibilité de refendre en deux.
Théoriquement, il est possible de refendre les troncs d’un faible diamètre pour en retirer 2 longbows de plus faible puissance. Toutefois, il y a toujours une perte, car le fendage n’est jamais parfait. Il est alors possible de scier de manière décentrée pour travailler le quartier le plus gros (moins de travail). Refendre de manière décentrée est souvent impossible car la coupe se dirige vers le cœur naturellement (parfois, le cœur est lui-même décentré).
Exemple d’un flatbow travaillé à l’envers (dos de l’arc photo 1, ventre photo 2) :
Flatbow 40#@28″ Frêne
Entre 8 et 15 cm
Refendre le tronc.
Réaliser un seul arc serait une perte de temps. Il est donc nécessaire de refendre le tronc en deux pour réaliser 2 arcs. C’est le cas de notre exemple que nous détaillerons tout au long des explications ou ici en photos
Flatbow ou longbow peuvent être réalisés (flatbow moins puissant pour les plus petites sections). Pour un longbow, préférer toutefois la section carrée, car la section en D implique de retirer plus de matière sans raison.
Possibilité de réaliser des arcs travaillés à l’envers ou en recoupant les cernes.
Plus de 15 cm
Cette section permet de réaliser tous les types d’arcs.
Selon le diamètre, il sera possible de le fendre en 4, 6, 8… quartiers pour réaliser autant d’arcs (ou presque).
Réaliser des longbows de section en D (puissants)
La forme des quartiers est propice à la réalisation de longbows de section en D (peu de matière à retirer).
C’est à notre avis la raison principale de l’utilisation de la section en D pour les arcs retrouvés dans la Mary Rose (XVIe siècle) : un souci d’économie de matière (l’if étant rare) et de temps (les arcs de guerre devant être réalisés en très grand nombre).
Exemple d’un longbow de section en D :
Longbow 50#@28″ If
Réaliser des flatbows dans tous les sens !
Pour éviter les risques de casse, il faut conserver la courbure du tronc sur le dos de l’arc (solution 1). Sinon, les quartiers peuvent être travaillés dans tous les sens pour réaliser des flatbows de section rectangulaire : cernes de biais, perpendiculaires, recoupés sur le dos…
Exemple d’un flatbow travaillé de biais (solution 2) :
Flatbow 50#@28″ Erable
Les très gros troncs
Certains facteurs d’arc ne coupent que des troncs de plus de 20-30 cm de diamètre… pourquoi pas ! Cela permet d’avoir le dos de l’arc moins arrondi, ce qui améliore très légèrement les performances (surtout pour les flatbows). Un diamètre plus important « gomme » aussi les ondulations des fibres du bois, ce qui facilite le travail par la suite. Mais l’arbre sera plus difficile à trouver, à couper, à transporter, à refendre…
Dans nos lectures, nous avons pu constater que les personnes coupant de gros arbres (plus de 20-30 cm de diamètre) recoupent les angles des quartiers. En effet, ceci permet d’obtenir un chevron bien carré qui sera laissé tel quel pour le séchage. Ce chevron est ensuite retravaillé pour lui donner sa forme définitive. Cela nécessite donc une section beaucoup plus grosse.
Nous n’avons pas expérimenté cette technique, mais cela semble parfaitement fonctionner. C’est jusque que nous pensons qu’il y a une importante perte de matière (regrettable lorsque c’est de l’if).
En résumé
Pour les longbows de section en D, il sera toujours plus simple d’utiliser un tronc fendu en 4 ou plus, car le quartier a déjà une forme proche de la section définitive de l’arc (section supérieure à 15cm). Pour des flatbows, des petites sections fonctionnent très bien… cela semble d’ailleurs être le cas pour les arcs de type Holmegaard.
On peut se demander quelle section d’arbre était choisie au Moyen Âge pour réaliser leurs arcs. Nous ne connaissons pas d’étude à ce sujet concernant les arcs de la Mary Rose, mais cette question nous semble utile. Oui, les archéologues ont parfois des questionnements très différents de ceux des facteurs d’arc.
Toutefois, dans le texte francophone de la fin du XVe siècle, l’auteur parle d’utiliser du sureau et du Nerprun (ou Aubépine). Il s’agit d’arbustes offrant rarement de grosses sections. Ce qui pourrait faire penser qu’ils ne recherchaient pas forcément de très gros diamètres.
NOTRE EXEMPLE
Pour illustrer ces propos, 2 arcs seront donc réalisés en expliquant les choix, les options… Ayant peu d’ifs centenaires à couper, le choix de l’arbre sera plus simple: une essence plus courante, pour laquelle on trouve aisément des branches droite.
La première question : où rechercher ? Dans votre jardin ou celui d’un ami, par exemple, mais les arbres poussent alors rarement dans les meilleures conditions.
Pour notre exemple, nous choisissons un talus routier. Le terrain est plus rocailleux (remblaie de pierraille), l’eau ne reste pas sur place (terrain en pente), les arbres sont serrés et ont poussés en hauteur. De plus, cela ne gêne personne qu’un arbre parmi des milliers d’autres soit coupé le long d’une route !
Les bords de routes regorgent d’espèces d’arbres utiles pour réaliser des arcs. Vous en trouverez donc certainement un qui conviendra parfaitement. En ce qui nous concerne, un frêne ayant un tronc d’environ 10cm de diamètre semble convenir. Il est assez droit sur les 3 premiers mètres, ce qui rendra le travail plus facile.
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